Les « agoodjies » du Dahomey : Aujourd’hui, la représentation fait-elle sens?
De 1845-1906, pendant le règne du roi Béhanzin, lors des affrontements avec les colons français, environ 8000 redoutables guerrières ont constitué l’armée du Royaume du Dahomey (Bénin actuel).1* Dans un contexte où les femmes sont victimes de violences au quotidien, et où la parité hommes/ femmes continue de faire débat, cet article a pour but d’interroger la représentation d’une « agoodjie » et son apport à l’échelle africaine voire mondiale.
Que veut dire « agoodjie »?
L’appellation en langue fon des femmes armées du Dahomey viendrait du tam-tam joué après la victoire
des fons contre les Ouéménous nommé « agoo djie », qui signifie « prenez garde » ou « attention à moi ».
Les soldats et les officiers masculins les appelaient « Mino » : nos mères. Une dénomination méliorative qui sied aux valeurs anthropologiques béninoises.
Signalons que l’histoire rappellent que les colons français ont dénommées les « agoodjies » les « amazones », terme dont les caractérisèmes tournent autour de féminité et de la sensualité (femmes à forte poitrine) et qui selon les défenseurs de la culture béninoise ne mettrait pas en lumière les victoires obtenues par ces héroïnes lors des diverses batailles armées.
Dans l’optique d’un éveil de conscience, ne serait-il pas nécessaire d’aller aux origines du mot afin d’interpeller chaque fille, femme, dans les batailles quotidiennes afin de réveiller « l’agoodjie » qui y sommeille et faire d’unir les forces individuelles et collectives dans la symbolique d’une émergence des sociétés? Voilà pourquoi dans cet article, nous nous limitons à la période des affrontements français compte tenu des sources historiques (2*) et de leurs traces ( jusqu’en 2010) : avec la participation au défilé, du 14 juillet à Paris, d’un bataillon de soldates béninoises, « la compagnie des Amazones du Bénin ». Cette proximité des événements historiques actualise le discours sur ces guerrières discrètes dont l’ombre médiatique a longtemps envahi (3*).
Qui pouvait être guerrière?
Pendant le règne de Béhanzin jusqu’à son exil en Martinique 1906, les agoodjies constituaient le 1/3 de l’armée du Dahomey. Elles étaient recrutées par plusieurs voies dont quelques unes:
- – Elles étaient femmes du rois
- – Des volontaires et femmes sacrées qui se donnaient corps et âmes au service du royaume
- – Elles étaient offertes : le cas des subversives ou rebelles (4*)
- – Des esclaves domestiques récalcitrantes
- – Tirées au sort dans les villages.
Quelque soit la voie de leur recrutement, ces femmes étaient tenues par les mêmes engagements : s’entraîner comme les hommes, en multipliant des stratégies lors des batailles pour remporter la victoire contre l’adversaire.
Quelle était la vie de la nouvelle recrue?
L’agoodjie avait une nouvelle vie caractérisée par :
- Le célibat
Le bannissement ou la peine de mort menaçaient les guerrières qui ne respectaient pas leur devoir
impératif d’abstinence sexuelle. Ces exécutions étaient rares et se faisaient à l’abri des regards, en secret, sous la responsabilité des femmes officières.
Mises à la retraite les agoodjies qui y parvenaient, toujours « femmes du roi », continuaient à être
entretenues par le roi.
- Scarifications. Excision
Pour toutes les filles et femmes qui avaient été incorporées en tant que prise de guerre, on peut supposer qu’elles portaient les scarifications de leurs groupes et sans doute parmi elles certaines étaient excisées. Il semble que les femmes fons se la pratiquaient elles-mêmes dès le plus jeune âge à des fins personnelles. De la même manière certaines femmes étaient marquées de 81 scarifications chéloïdes sur chaque face interne de leurs cuisses. - Casernement
Elles vivaient dans des palais royaux. Les plus connus se situent à Cana à une dizaine de kilomètres
d’Abomey et dans la capitale même sous le nom de « Singboji ». Derrière l’enceinte étaient réparties un
ensemble de cases dont celles qui pouvaient accueillir le roi mais aussi des ateliers, des entrepôts, des temples et des autels, des bâtiments pour le bétail et même des tombeaux. De vastes cours servaient aux entrainement qui se pratiquaient également à l’extérieur du palais (notamment dans les forêts d’épineux). - Entrainement, travail
Bien que les observations des témoins occidentaux de l’époque fussent dénaturées par leur dédain à
l’égard des peuples noirs, tous s’accordent sur l’ardeur, le courage et les qualités de guerrières des
agoodjie. Elles s’entraînaient à la douleur en rampant sur des épines, en sautant des haies épineuses de plusieurs mètres. Elles couraient, luttaient, s’entraînaient efficacement au tir où elles excellaient.
Leur condition physique était remarquable. Embrigadées pour le roi divin et la nation, on les fanatisait
pour qu’elles ne lâchent jamais rien dans la bataille. Gare à celles qui revenaient après avoir reculé ou fuit, ou qui avaient été mises en déroute sans vrai combat. - Vêtements, parures, armement
Les vêtements étaient variables selon l’utilisation. A la parade, tuniques à rayures verticales bleues et blanches. Les tenues d’apparat étaient différentes et colorées et variaient selon les unités qui se
présentaient. Quand elles combattaient, les « agoodjies » portaient des tuniques grises tachées de sang séché, des écharpes blanches parfois. D’autres on décrit des pagnes de raphia. Les descriptions sont variables et plus ou moins détaillées selon les époques. Elles se paraient des crânes, des scalps ou des mâchoires de leurs ennemis, attachaient à leurs ceintures. de nombreux gris-gris sensés les prémunir de la mort et des blessures, des amulettes offertes par le roi, des clochettes en fer. Certaines avaient des colliers et des bracelets de perles de verres et de corail, des anneaux de fer et de laiton. Les grandes officières portaient des cornes en argent ou en or. Des chapeaux pouvaient orner leurs têtes. Les archères portaient au bras gauche une protection en ivoire. Elles se mettaient en marche vers la bataille, munies de mousquets à silex, de tromblons et de machettes. Leur arme la plus redoutable était une sorte de rasoir à l’européenne, long de 70 cm qui s’ouvrait grâce à un puissant ressort et qui, de sa lame tranchante pouvait couper un homme en deux… Elles maniaient leurs lourdes massues et leurs lances avec habileté. Dans leur équipement de campagne se trouvait une cordelette pour entraver les prisonniers et un linceul pour qu’elle soit enterrées dignement tout de suite après la bataille dans la terre du Dahomey. - Récompenses
Toutes sortes de récompenses pouvaient être distribuées aux guerrières qui s’étaient illustrées à la
bataille. Ainsi les témoins purent observer des médailles en argent que le roi frappait à l’effigie de son
symbole (Eléphant pour Ghézo).
Le roi distribuait également des colliers de perles et de corail, du rhum, des tissus, du tabac. Le plus
souvent elles étaient gratifiées de cauris, qui étaient la monnaie en cours. Cette gratification était
distribuée notamment pour les récompenser des captifs ramenés au roi.
Les têtes des ennemis tranchées à la bataille, étaient données au roi tandis que certaines guerrières très valeureuses pouvaient s’en voir accorder. Plus généralement on les autorisait à en garder le scalp pour orner leurs ceintures. Les rois distribuaient solennellement des gris-gris aux agoodjies qui se trouvaient ainsi protégées de la mort, ou plutôt selon Hélène Almeida-Topor, se voyaient grâce à eux, embarquées directement vers le pays de Mawu et les villages de leurs ancêtres,assurant une éternité sans errance.
Que retenir de ce parcours?
Ce rappel historique autour de l’agoodjie montre en quoi a consisté leur vie. Tout le sacrifice qui fût leur pour l’indépendance du Bénin réclamé par le roi Béhanzin. Aux côtés des soldats hommes elles ont servi le royaume et y ont marqué leurs empreintes.
Et aujourd’hui?
Face à la mondialisation et à la modernisation, l’inculturation et l’acculturation, l’on se demande s’il existe des femmes guerrières dans nos sociétés? Sinon qui sont-elles?
Face à une Afrique, qui peine sous la dette étrangère, qui toujours rame à écrire son histoire de façon autonome, sujette au néocolonialisme et aux multiples invasions politico-économiques d’une part; et d’autre part, face à une jeunesse déboussolée par des contextes fragilisés ( les pandémies, les inflations, les mauvaises gérances, les absences d’autorités intra-familiales, l’invasion des nouveaux médias, les individualismes et l’appât du gain facile) l’on se demande où trouver des nouvelles « agoodjies » pour des lendemains meilleurs.
Sources:
- B. ALPERN Stanley, Les amazones de la Sparte noire, Les femmes guerrières de l’ancien royaume du Dahomey. Tr. C. Owusu-Sarpong. L’Harmattan, Paris 2014. 332 pages.
- BERTRAND Alain, « La branche armée du féminisme : les amazones », Labyrinthes (En ligne)
- TOKANNOU Samson, Armée et urbanisation au Danxomɛ : Cas de la ville d’Abomey de 1645 à 1900. Une étude archéologique des transformations sociales et urbaines au Danxomɛ (Dahomey) sous l’influence des guerres, Sarrebruck, Presses Académiques Francophones, 2014.
- ELIADE Mircea, Aspects du mythe. Paris, 1963. Gallimard. 251 pages.
- HOUSEMANN Michael. Note sur les récits de fondation des royaumes Aja-Tado du Sud-Bénin. Dominique Casajus ; Fabio Viti. La terre de pouvoir. A la mémoire de Michel Izard, CNRS Editions, pp. 223-248, 2012 .
- D’ALMEIDA-TOPOR Hélène, Les amazones. Une armée de femmes dans l’Afrique précoloniale. Rochevignes. Paris, 1984. Editions la Lanterne magique. Besançon 2016. 239 pages.
- chateau-vaudou.com (1*,2*, 3*, 4*)
- Wikipédia
© Armelle Nelly Kweha, janvier 2024